
Dans le cadre exceptionnel de la Maison Cabuy à Malines, une villa moderniste conçue dans les années 1930 par l’architecte Jos Chabot, la Schönfeld Gallery de Bruxelles présente Albatros, une exposition du photographe et artiste anversois Jesse Willems. Ce lieu singulier, baigné de lumière et bordé par le canal de Louvain, offre un écrin idéal pour accueillir l’univers poétique et introspectif de l’artiste, qui y mêle photographie, collage et mémoire personnelle.
Classée monument historique, la Maison Cabuy est considérée comme l’un des plus beaux exemples du modernisme d’entre-deux-guerres à Malines. Jos Chabot, souvent décrit comme un moderniste mesuré, y a combiné le langage épuré du Nieuwe Zakelijkheid — le « Nouveau Objectivisme » — avec des touches subtiles d’Art déco. L’architecture, rythmée et ludique, révèle un équilibre rare entre rigueur fonctionnelle et élégance décorative. Aujourd’hui, cette demeure n’est plus habitée, mais transformée en espace d’exposition où patrimoine et création contemporaine se rencontrent dans un dialogue fécond.
C’est dans ce décor que Jesse Willems présente Albatros, une série d’œuvres qui explorent la fragilité, le mouvement et la transformation. Né en 1984, l’artiste travaille à la croisée de la photographie, du collage et de l’assemblage. Il s’inspire de petits fragments du quotidien, de détails souvent anodins, qu’il extrait de leur contexte pour leur donner un nouveau sens. Son œuvre invite à ralentir, à regarder autrement ce que l’on croit connaître, à contempler la beauté dans la répétition et la trace.
Le point de départ de l’exposition s’est imposé à lui dès sa première visite à la Maison Cabuy : à l’entrée, une sculpture en bois représentant un albatros accueille le visiteur. « Le lien avec le lieu était évident », raconte-t-il. « L’albatros parcourt d’immenses distances sans battre des ailes. Il symbolise la sérénité, la détermination, l’efficacité. Tout ce que je ne suis pas, mais tout ce à quoi j’aspire. » L’artiste évoque une période de transition, un moment de déséquilibre où l’albatros devient une métaphore de sa propre quête d’apaisement.
Dans ses œuvres, Jesse Willems détourne d’anciennes photographies pour en extraire des cercles qu’il fait littéralement « tourner ». Ces formes récurrentes incarnent une tension entre mouvement et immobilité. « Rien de ce qui existe ne me semble jamais suffisant », confie-t-il. « Cette recherche constante m’agite, me rend vulnérable. Pendant longtemps, trois cercles alignés représentaient ma jeune famille, comme les trois étoiles d’Orion. Après une rupture, tout a été remis en question. Les cercles se détachent, se réorganisent. Peut-être que la prochaine exposition s’intitulera Fénix ? »
À travers cette approche, Albatros ne parle pas seulement d’un voyage intérieur, mais aussi du rapport entre l’homme et l’espace. Dans la Maison Cabuy, les lignes géométriques et la lumière du modernisme répondent aux compositions fragmentées de Willems. Le bâtiment devient un partenaire silencieux de l’exposition, un écho à la recherche d’équilibre de l’artiste.
En accueillant Albatros, la Maison Cabuy confirme son rôle de lieu de rencontre entre patrimoine et création. Construite pour le couple Cabuy-De Swert, elle témoigne de l’esprit d’innovation et d’ouverture de l’entre-deux-guerres, tout en prouvant que cette modernité peut encore dialoguer avec les sensibilités contemporaines.
L’exposition Albatros sera visible du 7 au 16 novembre 2025 à la Maison Cabuy à Malines. En réunissant art, architecture et introspection, elle invite à réfléchir à la beauté du mouvement, à la fragilité des liens et à la manière dont chaque espace — intérieur ou mental — peut devenir un lieu de renaissance.
©DM12/10/2025 Photos : ©tijsververcken